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le vent nous portera
18 novembre 2019

Alain Souchon - Âme fifties -

souchon ame fifties

Tant il a fait de l’art d’effleurer (les choses de la vie, les jambes des femmes ou les sujets qui fâchent) un mode de respiration vital, n’attendons pas d’Alain Souchon, à 75 ans, qu’il se mette à enfoncer des clous. On l’imagine peu doué en bricolage, le Duduche rive gauche. On le préfère en ambassadeur des sentiments qui flanchent, le genre de gars qui panse à notre place, allô maman bobo à vie, ralentisseur naturel de pouls quand le monde autour s’emballe à faire suffoquer. Ainsi un Souchon nouveau débarque en pleine hystérie Zemmour-voile-Hanouna et c’est un peu comme si, à lui seul, il possédait ce pouvoir magique de tout aspirer, tel un purificateur d’air aux filtres sereins, à deux pas d’un Modiano (Encre sympathique) aux vertus semblables et le même jour qu’un Vincent Delerm (Panorama) aligné sur la même onde. Pourtant Souchon n’est dupe de rien, et même dans le travelling arrière qui donne son nom à l’album, Ame fifties, le déroulé de chromos sépia (Gabin, Verchuren, Radiola, Peugeot 203) n’oublie pas «les enfants soldats des montagnes algériennes», ce qui équivaut à dire «c’était mieux avant, mon cul !» avec cette fausse sagesse de punk à chat. Comme celle en anglais des Kinks, la nostalgie en français de Souchon n’est qu’un levier sournois pour catapulter dans le présent du poil à gratter sous l’aspect d’un mohair musical désuet et cajoleur. Discrétion et délicatesse Le mec à l’air d’un déphasé chronique, sous un pétard capillaire aussi filandreux que sa silhouette, et pourtant il est venu régulièrement nous transpercer collectivement la conscience avec des chansons qui font mouche plus que n’importe quelle tribune. Sur la violence blanche des vies citadines (Ultramoderne Solitude), la folie religieuse (Et si en plus y’a personne) ou le capitalisme cannibale (Parachute doré), pour n’en citer qu’un tiercé gagnant. Ça ne change rien mais c’est déjà ça. Une fois encore, distillé avec discrétion et délicatesse ici et là, sur des airs légers qui se balancent en hamac, ça parle bien des détresses contemporaines («Une usine qu’on vend/ et des hommes qui pleurent devant», «Au bord du canal, il y a des campeurs/ Des gens qui leur parlent, et qu’ont peur» sur Un terrain en pente), quand l’évocation des filles des beaux quartiers éduquées à Debussy Gabriel Fauré se conclut par «La lutte des classes/ On sait où ça nous mène hélas». Pas d’enfonçage de clous, soit, ni trop de portes ouvertes, mais une certaine constance dans le martèlement insidieux, à coup feutrés et tout en arpèges à claire-voie, lorsque sur un ton enjoué il inventorie les codes d’un côté et de l’autre du périph – «Ici khâgne hypokhâgne/ Grimpe à Normal Sup/ Là l’escalator en panne/ On tourne dans la ZUP» (Ici et là). On doit bien reconnaître que sa voix manquait, en contrepoint du concert des inutiles, à rebours des vulgarités, des breaking news en carton, sous les radars de la hype ou au-dessus de la mélasse. Eternelle jouvence Car cela faisait onze ans que Souchon n’était pas apparu seul avec un album de chansons originales. Le précédent, en 2014, était signé Souchon-Voulzy (qui n’apparaît ici que le temps d’une Irène country et western assez accorte), et celui d’avant, A cause d’elles (2011), reprenait des airs ayant bercé l’enfance du chanteur. Cette fois, ce sont ses deux fils (Pierre Souchon et Ours) qui mettent la main à la pâte du pater, tandis que les jeunes experts en élégance sonores, Clément Ducol et Maxime Le Guil (Camille, Delerm, Christophe…), se chargent des méga ouates d’une production riche en amidon. Aucune surprise, donc, à entendre Souchon «souchonner» autour des cœurs qui auraient pu s’accorder (Presque) ou qui ne battent plus ensemble (On s’aimait), faire du vieillissement un aquoibonisme rieur (On s’ramène les cheveux) et pour tout jeunisme s’en remettre à Pierre de Ronsard, «le Voyage d’Herceuil» traité en nuances folk blues pâle (Ronsard Alabama). Depuis l’intérieur moiré des vitres d’un café, ou en balade sur les quais, puisqu’il paraît que les textes lui viennent en marchant, l’ancien prodige de la «nouvelle chanson française», du temps d’un président qui ramenait ses cheveux vers l’avant «pour que tout soit un peu comme avant», donne encore de jolis signes de son éternelle jouvence. Comme toujours, certains trouveront la tisane un peu tiède, le rythme gastéropode légèrement lassant (et puis quoi ? Souchon ne va pas se mettre au grindcore à son âge), mais on peut à l’inverse se réjouir qu’il subsiste avec lui un genre de métronome cadencé sur les pas de ceux qui déambulent, des flâneurs, des rêveurs, des non-compétiteurs, d’autant qu’une fanfare (Ouvert la nuit, déjà entendue dans le film du même nom, signé Edouard Baer) finit par réveiller les troupes dans un feu de joie bienheureux. Si la touche «british» de Voulzy fait un peu défaut sur la longueur, si on aurait aimé un service un peu plus consistant que neuf nouvelles chansons, ce sont des pinaillages bien mesquins au regard de ce que Souchon est encore capable d’offrir. Et puis, quoi qu’on en vienne à penser par la suite, un disque qui s’ouvre par une phrase aussi foudroyante que «Ferme les yeux vois» se révèle un peu gagné d’avance. Christophe Conte

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