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le vent nous portera
17 mars 2012

El camino

 

The-Black-Keys-El-Camino-608x608

A chaque nouvelle livraison des Black Keys, la même crainte. Et si cet album était celui de trop, celui qui ne ferait que dupliquer le précédent ? Généralement, deux écoutes suffisaient pour clouer le bec à l'inquiétude : cette paire-là - car les Black Keys ne sont que deux - avait décidément de la ressource. Avec El Camino, septième enregistrement du duo, le constat tombe plus vite encore. Dès le premier morceau, l'entraînant Lonely Boy, qui démarre pied au plancher, on est stupéfait. Difficile d'être à ce point fidèle à un rock brut et chaleureux, simple et évident, et malgré tout aussi éloigné de la tonalité soul d'Everlasting Love, titre d'attaque de Brothers, l'album précédent, qui vit s'abattre sur nos sémillants outsiders une reconnaissance presque grand public et une pluie de Grammies. Dan Auerbach et Pat Carney n'ont pourtant quasiment rien changé à la formule qui est la leur depuis dix ans, lorsque les deux compères ont démarré dans le sous-sol aménagé du longiligne batteur Carney, dans leur peu reluisante ville natale d'Akron, Ohio, capitale du pneu. Si le duo habite désormais à Nashville, histoire de respirer un autre air, moins caoutchouteux, leur méthode ne varie guère. Ils entrent en studio le matin, se font face, Dan à la guitare, Pat devant ses fûts, grattent, tapent, cherchent et ressortent, sans avoir vu le jour, au petit matin, avec une nouvelle chanson sous le bras. Bien sûr, avec le temps, Dan Auerbach, enfant anachronique amoureux du blues le plus brut, aussi enflammé que décharné, et Pat, autodidacte sans cesse émerveillé par les possibilités infinies de sa batterie, ont élargi leur palette sonore. Brothers, trop produit à leur goût, leur avait posé souci : trop difficile à reproduire, simplement, en petit comité, sur scène. D'où ce retour à un rock'n'roll plus essentiel sur El Camino. Un son classique, millésimé, énorme : des riffs sobres et lumineux, des rythmes sans pitié pour les pieds, un chant plus sensible que jamais et des choeurs féminins à se damner. On attendait la touche Danger Mouse, troisième larron de l'affaire, le producteur multicarte que tout le monde s'arrache (des Gorillaz à Gnarls Barkley), du côté de bidouillages high-tech, d'un groove sophistiqué. Mais le sorcier du son, amoureux transi des intransigeants Black Keys, a rangé sa boîte à gimmicks pour se mettre au service des chansons, des voix et des mélodies, d'une limpidité pop absolue. La véritable magie des Black Keys se situe là : comme jadis les Rolling Stones ou Led Zeppelin, Carney et Auerbach ont su s'ancrer dans un blues sans fard pour avancer en incorporant à leur son le meilleur des pionniers. El Camino serait même à cet égard un fabuleux concentré de leurs multiples influences. Passé donc le tonitruant Lonely Boy, on bascule dans le joyeusement plaintif Dead and gone, rhythm'n'blues au refrain obsédant, avec son petit chorus addictif de guitare. Derrière, le boogie de Gold on the ceiling est un jubilatoire clin d'oeil au heavy glam mélodique à paillettes de Sweet ou de Chicory Tip. Little Black Submarines, dans la foulée, attaque tout en douceur acoustique, pour se métamorphoser, à mi-parcours, en déflagration nirvanesque, et ainsi de suite... Aucun sentiment de patchwork inconséquent là-dedans, plutôt une admirable synthèse, la mise au jour d'une racine commune, d'un esprit unique qui coule de source depuis l'origine. En enregistrant El Camino, Auerbach et Carney écoutaient en boucle The Clash, The Cramps, du rock'n'roll. Ça s'entend. Leur musique respire autant le plaisir de l'instant que le respect stimulant du passé. Apparus dans le sillage des plus médiatiques et charismatiques White Stripes, de Detroit, ville rock par excellence (le berceau des Stooges, du MC5, de Bob Seger et d'Alice Cooper), les Black Keys, pas glamour pour un sou, passaient pour de sympathiques suiveurs. Il n'en était rien. Auerbach et Carney étaient déjà et depuis toujours dans leur monde. S'ils se connaissaient depuis l'âge de 6 ans, ils ne s'étaient vraiment rapprochés que dix ans plus tard. Par la musique. Celle qu'ils souhaitaient créer, en total décalage avec les goûts de leurs contemporains. Les Black Keys se retrouvèrent à deux parce qu'ils ne pouvaient en être autrement : aucun musicien, dans leur coin, n'était sur leur longueur d'onde. Si Akron, par son isolement, n'a jamais eu de vraie scène musicale, la ville n'a pas moins vu émerger quelques rockeurs atypiques, passionnés, nourris par leur salutaire désoeuvrement. Pere Ubu, Devo, Lux Interior ou même le cinéaste Jim Jarmusch sont tous des enfants d'Akron, et Dan Auerbach et Pat Carney sont dans leur droite lignée. Hors mode, esthètes, modestes et honnêtes, ils n'aspirent qu'à un idéal : perpétuer un esprit sacré qui se serait dissipé, selon eux, aux alentours de 1972. Celui d'un rock encore épargné par la loi du business et la froideur du 24 pistes. Celui où les musiciens pensaient moins à l'argent qu'ils gagneraient qu'à la musique qu'ils faisaient, se consacraient à la joie de jouer ensemble plutôt qu'à perfectionner leurs prises chacun dans son bocal séparé. A scruter dans le moindre détail leurs albums préférés, Dan Auerbach et Pat Carney étaient arrivés un jour à cette conclusion : le disque parfait doit contenir onze chansons et durer entre trente-sept et trente-neuf minutes. Le format et la durée exacts d'El Camino. CQFD ? Hugo Cassavetti 

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