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le vent nous portera
14 décembre 2014

CSNY 1974

csny 1974

Les quatre mousquetaires du rock s'étaient retrouvés en 1974 pour une tournée gargantuesque. On peut enfin entendre ces concerts, illustration de l'alchimie singulière qui les unissait. On aime passionnément Plus encore que le retour en force de Bob Dylan avec Blood on the tracks, les retrouvailles de Crosby, Stills, Nash & Young furent l'événement musical de 1974. En ce temps-là, trois ans semblaient une éternité, et la réunion du supergroupe eut le même impact outre-Atlantique qu'une hypothétique reformation des Beatles. Pourtant, de ces trente et un concerts donnés dans les plus grands stades américains — une première —, puis à Wembley, en Angleterre, il n'existait aucune trace. Un album studio, Human Highway, ne se matérialisa pas, et les bandes live furent remisées aux oubliettes, nourrissant la thèse que le C, S, N & Y de 1974 n'était que l'ombre usée, gâtée par les excès et la mégalomanie de ses membres, du prodigieux collectif d'individualités qui avait gravé fin 1970 4 Way Street, monument de l'histoire du rock. Quarante ans après, grâce au travail patient et colossal de Graham Nash, le son est disponible sur un triple CD, ­livré enfin au jugement de nos oreilles. Et elles sont comblées. CSNY 1974 constitue la pièce manquante, aussi ­capitale que réjouissante, de l'étourdissant puzzle musical que fut ce quatuor hors norme : autant de talents immenses, opposés dans leurs styles et personnalités, unis dans une magique complémentarité. Mais C, S, N & Y fut aussi l'incarnation de la contradiction rock, d'un décalage entre des idées justes et généreuses (défense des droits de l'homme, dénonciation des méfaits de Nixon — de la guerre aux émeutes brutalement réprimées) et un comportement privé égoïste et narcissique. Crosby, Stills and Nash, le trio initial, est né de la frustration artistique de trois hommes, insatisfaits de leurs expériences passées, et d'une évidence : leurs chants et tessitures s'accordaient à merveille. Stephen Stills, fils de militaire ayant grandi, au gré des affectations de son père, entre la Floride et l'Amérique centrale, instrumentiste prodige (percussions, basse, claviers...) et surtout guitariste hors pair, sortait de la brève mais houleuse histoire à succès du Buffalo Springfield, pour ­lequel il avait signé le tube indigné et ­fédérateur For what it's worth. David Crosby, nounours hippie au chant aérien, aussi accro aux filles et à la dope qu'aux armes à feu, venait de se faire ­limoger par ses acolytes des Byrds. Graham Nash, anglais, fut l'un des compositeurs et voix des Hollies, dauphins des Beatles aux formidables harmonies vocales. Lassé du carcan pop, militant de nature, Nash trouva refuge dans la communauté rock californienne de Laurel Canyon surgie dans le sillage du festival de Monterey. Le trio se baptisa Crosby, Stills & Nash pour ne plus avoir à subir le déni de démocratie qui se cache sous un nom de groupe, et négocia — exception pour l'époque — le droit d'enregistrer librement, en solo ou avec d'autres partenaires. Le succès du premier album fut tel qu'il fallut tourner et, du coup, recruter un membre supplémentaire. Stills rêvait de Steve Winwood, mais ce dernier était déjà pris. Ce fut donc Neil Young, frère ennemi de Stills au sein du Buffalo Springfield. Ces deux fortes têtes-là se con­naissaient depuis longtemps, leur association produisant toujours autant d'éclats musicaux que de clashes d'ego. Après leur prestation à Woodstock, l'album Déjà vu, affinant plus encore le concept « ensemble et séparés » du groupe (quatre auteurs, quatre voix, un tout sans faille), fit de ces mousquetaires du folk-rock des superstars qui gravèrent aussitôt une flopée de brillants albums chacun de leur côté. Au charmant recueil pop de Nash, Songs for beginners, répondait le chef-d'oeuvre planant du rock West Coast de Crosby, If only I could remember my name. Et tandis que Young accouchait, après After the gold rush, du classique Harvest, Stills enchaînait deux excellents albums sous son nom, suivi de l'impressionnant Manassas, survol époustouflant, en groupe, de sa vaste palette musicale. Jusqu'à 1973, les quatre nantis planaient haut et fort, sans croiser le moindre nuage. Et puis le doute et la dépression s'installèrent. Young, traumatisé par le succès de Harvest et les épreuves de sa vie (morts de proches et naissance de son premier fils handicapé), broyait du noir, et l'inspiration des autres commençait à s'émousser. L'aventure collective vint à manquer, il était temps de se retrouver pour recharger les batteries. Plus d'un million de spectateurs pour une débauche de moyens à faire pâlir les Stones — jets privés, hôtels de luxe —, les chiffres et les récits sont vertigineux. Même si Young, en éternel solitaire, préférait voyager seul, avec femme et enfant, en mobil-home. Comme toujours, un pied dedans, un pied dehors. Et c'est ce qui ressort à l'écoute de ce formidable témoignage sonore. Reflétant le concert moyen de la tournée — trois heures et demie de récital chaque soir —, CSNY 1974 alterne titres collectifs, prouesses individuelles, pauses acoustiques et fièvre électrique. Stills, bête de scène, démarre sur une version latino de son Love the one you're with, avant d'exceller sur ses morceaux de bravoure, le virtuose Word Game, le quasi heavy Black Queen ou le superbe et délicat Johnny's Garden. Nash et Crosby, le premier concis, le second imprévisible, déroulent leurs sensibilités et mélodies respectives. Mais c'est Young qui fournit à l'ensemble la touche qui le rend indispensable. Par la floraison d'inédits qu'il y livre, par l'interprétation de morceaux poignants de cette période d'intense souffrance pour lui. Après les perles acoustiques jamais entendues (Love Art Blues, Hawaiian Sunrise, Traces...), on se régale de versions habitées de Don't be denied, On the beach, Revolution Blues ou du rarissime Pushed it over the end, où ses échanges de guitare avec Stills, plus subtils qu'auparavant, atteignent des sommets. Le tout s'achevant en apothéose sur l'explosif Ohio. Composé en réaction au meurtre par la police de quatre étudiants sur un campus universitaire en 1970, le morceau aux allures d'hymne avait mis C, S, N & Y au coeur de la révolte et de la solidarité. Ici, Ohio vient à la fois saluer la récente destitution de Nixon , tout en rappelant que le combat est loin d'être terminé. Crosby, Stills, Nash & Young, malgré les reformations ponctuelles depuis, n'ont jamais plus été aussi vibrants que sur ces prestations prétendument moribondes, positivement bénies et inspirées. ­ — Hugo Cassavetti

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